IR Notes 123 – 3 juillet 2019
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  Une question à…
Claire Berthier, responsable des affaires sociales Groupe Bel

Quelles ont été vos motivations pour mettre en place un comité d’entreprise européen au sein de votre groupe fromager, actif également dans la transformation fruitière et du lait, qui compte un peu plus de 6000 salariés en Europe
(v. 3. Entreprises) ?

La naissance de notre comité européen est le fruit de la rencontre de la volonté d’élus locaux (venant de quatre pays différents : Allemagne, Belgique, Slovaquie, France) et de la direction du Groupe Bel. L’objectif de cette réflexion, initiée concrètement il y a 3 ans avec le soutien de la fédération syndicale européenne, était de construire un modèle social européen conforme aux valeurs du groupe, qui a toujours affirmé sa volonté de transparence et de dialogue avec ses partenaires sociaux. Dans cette optique, le choix a été fait d’aller au-delà du périmètre légal et d’inclure des pays tels que l’Ukraine et la Suisse, qui font pleinement partie de notre écosystème. L’accord a été signé lors de la première réunion du comité, en présence des dirigeants de la société. Elle a été précédée par une formation organisée par l’Etui afin que les futurs membres s’approprient bien leur rôle. Au-delà des sujets régaliens tels que la stratégie du groupe, la santé/sécurité et la diversité, nous serons amenés à traiter de sujets chers à nos représentants et à l’entreprise tels que la réduction de la précarité et toute question pouvant toucher aux conditions de travail.

 
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À la Une
Une convention internationale pour bannir la violence et le harcèlement au travail

Les représentants des gouvernements, des travailleurs et des employeurs des 187 États membres de l’Organisation internationale du travail (OIT) ont adopté, le 21 juin, la Convention pour lutter contre la violence et le harcèlement dans le monde du travail à une large majorité (439 votes en faveur, 7 contre et 30 abstentions) ce qui démontre que ses valeurs sont universelles et que de tels phénomènes ne sont tolérables dans aucune région du monde (v. communiqué de l’OIT). Cette convention, la première adoptée depuis 2011, est accompagnée d’une recommandation qui n’est pas juridiquement contraignante, mais qui fournit des orientations sur la façon dont la Convention doit être appliquée. Ce deuxième texte a été adopté avec un peu moins de voix – 397 pour, 12 contre et 44 abstentions – en particulier parce qu’il contient des mesures jugées parfois trop prescriptives pour certaines organisations d’employeurs. La convention définie la « violence et harcèlement » dans le monde du travail comme « un ensemble de comportements et de pratiques inacceptables, ou de menaces de tels comportements et pratiques, qu’ils se produisent à une seule occasion ou de manière répétée, qui ont pour but de causer, causent ou sont susceptibles de causer un dommage d’ordre physique, psychologique, sexuel ou économique, et comprend la violence et le harcèlement fondés sur le genre ». Chaque État membre de l’OIT devra adopter une législation prescrivant aux employeurs de prendre des mesures appropriées pour prévenir ces phénomènes. La protection s’étend à tous les travailleurs, quel que soit leur statut contractuel, jusqu’aux bénévoles et stagiaires, et quel que soit le secteur économique (public, privé, et même l’économie informelle). La protection couvre le lieu de travail au sens le plus large y compris les communications liées au travail, effectuées au moyen de technologies de l’information et de la communication. La convention appelle aussi les États à prendre des mesures appropriées pour « reconnaître les effets de la violence domestique » pour « atténuer son impact dans le monde du travail », par exemple, comme le suggère la recommandation, en adoptant un « congé pour les victimes de violence domestique » ou « des modalités de travail flexibles et une protection pour les victimes ». Ce texte a été unanimement salué par le mouvement syndical qui s’est fortement mobilisé en sa faveur (v. communiqués des fédérations syndicales internationales de IndustriAll Global Union, UNI Global Union et UITA et de la Confédération européenne des syndicats).


> La Conférence a aussi adopté la « Déclaration du centenaire de l’OIT sur l’avenir du travail» (v. communiqué de presse de l’OIT). Dans cette déclaration, l’OIT entend développer une « approche de l’avenir du travail centrée sur l’humain, qui place les droits des travailleurs ainsi que les besoins, les aspirations et les droits de toutes les personnes au cœur des politiques économiques, sociales et environnementales ».


1. Union européenne
Législation

Actualité sociale

  • Programme stratégique 2019-2024 : les Vingt-huit ont adopté, le 20 juin, un nouveau programme stratégique 2019-2024, qui comporte plusieurs paragraphes démontrant un certain niveau de préoccupation sociale. Concernant la « transition vers un avenir plus vert, plus équitable et plus inclusif » il faudra « aider les communautés et les personnes à s'adapter à ce monde nouveau ». Ainsi, le texte souligne que la transformation écologique devra se faire « d'une manière […] qui soit socialement juste ». Les États doivent « prêter une attention soutenue aux questions sociales » et mettre en œuvre le socle européen des droits sociaux. (v. réaction de la Confédération européenne des syndicats).

Jurisprudence

Protection d’un témoin d’une discrimination : une gérante d’un magasin d’une chaîne de vêtements en Belgique a retenu la candidature à un poste de vendeuse d’une femme qui a précisé au cours de l’entretien être enceinte de trois mois, estimant qu’elle avait toutes les compétences exigées. Le service des ressources humaines a rejeté la candidature en raison de la grossesse de la jeune femme. Après avoir signalé à sa hiérarchie qu’un tel refus d’embauche était interdit par la loi, sans succès, la responsable a informé la candidate que sa candidature était rejetée en raison de son état de grossesse. La candidate a porté plainte en justice pour discrimination. Par la suite, la gérante à qui la direction reproche d’être à l’origine de la plainte, est licenciée notamment pour non-respect des consignes de sécurité. La gérante a porté plainte et a demandé à bénéficier de la protection contre les mesures de rétorsion, garantie dans la loi belge en faisant valoir être intervenue en tant que témoin dans l’instruction de la plainte. La juridiction belge a estimé qu’elle ne pouvait bénéficier de la protection prévue pour les témoins dans les litiges relatifs à l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes au motif que la loi exige un formalisme précis, le témoignage devant être consigné dans un document daté et signé. La question qui se posait à la CJUE est de savoir si l’article 24 de la directive 2006/54 du 5 juillet 2006, relative à l’égalité de traitement entre hommes et femmes, qui protège les témoins de discrimination, s’oppose aux critères stricts imposés par la législation nationale belge. La Cour de justice estime que cette législation contrevient à l’article 24 de la directive qui doit « être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation (…) en vertu de laquelle, dans une situation où une personne s’estimant victime d’une discrimination fondée sur le sexe a déposé plainte, un travailleur l’ayant soutenue dans ce contexte est protégé contre les mesures de rétorsion prises par l’employeur seulement s’il est intervenu en qualité de témoin dans le cadre de l’instruction de cette plainte et que son témoignage répond à des exigences formelles prévues par ladite réglementation. » (CJUE 20  juin 2019,  aff. C-404/18, Hakelbracht).


2. États membres
France

Congé de paternité pour hospitalisation de l’enfant : un décret du 25 juin a créé un congé de paternité en cas d’hospitalisation immédiate de l’enfant après sa naissance, ouvert au père, conjoint de la mère ou personne liée à elle par un pacte civil ou vivant maritalement avec elle. Ce congé a une durée maximale de 30 jours consécutifs et doit être pris dans les quatre mois suivant la naissance. Pendant le congé, la personne perçoit des indemnités de la sécurité sociale dans les mêmes conditions que pour le congé de paternité. Ce nouveau dispositif s’applique aux naissances intervenant à compter du 1er juillet 2019.


Royaume-Uni

Jurisprudence sur le choix de loi applicable à la négociation d’un accord : suite à une scission intervenue en 2015 au sein de Hewlett-Packard, la direction de l’une des nouvelles entités, Hewlett-Packard Enterprise (HPE), a lancé des négociations pour créer un CE européen. Le groupe a désigné sa filiale britannique pour mettre en place un groupe spécial de négociation. Mais un an plus tard, en raison du Brexit, le groupe décide de placer la négociation sous l’égide de la loi irlandaise, et désigne sa filiale irlandaise pour poursuivre les discussions. En 2018, un membre du groupe spécial de négociation (GSN) a demandé à bénéficier d’une formation sur la législation britannique applicable au CE européen, en vertu de la loi de transposition britannique. La direction lui a refusé la formation, la législation applicable à la négociation étant la législation irlandaise. Le GSN a contesté cette décision et a estimé que le groupe ne pouvait pas unilatéralement changer la filiale chargée de le représenter. La juridiction britannique chargée des contentieux afférents aux relations collectives de travail, le Comité central d’arbitrage (CAC), a rendu une décision, le 18 juin, que HPE pouvait mettre fin à la désignation de sa filiale britannique. Le CAC indique qu’une multinationale agissant de bonne foi, ce qui serait le cas en l’espèce, est libre de changer de direction de filiale chargée de la représenter, dès lors qu’il ne s’agit pas d’échapper au droit à l’information et à la consultation. Une multinationale agissant de mauvaise foi pourrait cependant voir la désignation d’un nouveau représentant être annulée. Le CAC précise aussi que l’entreprise est libre d’opter pour la législation de son choix (la directive ne prévoit pas de disposition impérative sur ce point), même celle qui lui paraîtrait la plus favorable dans le sens qu’elle permettrait de mettre en place le droit à l’information et à la consultation de façon moins couteuse. Le CAC justifie sa position au nom du principe de la liberté d’établissement et s’appuie sur un arrêt de la Cour de justice de l’UE sur les transferts de sièges sociaux (CJUE, 25 octobre 2017, aff. C-106/16, Polbud).


3. Entreprises
Comités d’entreprise européens

Nouvel accord : La direction du groupe fromager français Bel, actif également dans la transformation fruitière et du lait, a signé, le 20 juin, un accord relatif à la mise en place d’un CE européen, avec un groupe spécial de négociation assisté par la fédération syndicale européenne Effat. L’industriel compte 12 600 salariés, dont 6 646 en Europe et majoritairement en France (3 874 salariés). Il s’agit d’un des rares accords à couvrir l’Ukraine (342 salariés). Par ailleurs, les pays couverts par l’accord, le resteront même s’ils quittent l’UE. Cette clause permet de maintenir les Britanniques à bord. Les définitions de l’information et de la consultation prévues par la directive sont améliorées (réponses de la direction aux avis et solutions alternatives proposées par le CE européen). Le délai imparti pour la consultation « sera convenu au cas par cas, en fonction de l’ampleur des mesures envisagées ». Signalons aussi la possibilité de recourir à la visioconférence, avec l’accord du comité, ainsi que des moyens de fonctionnement jugé correct par l’Effat compte tenu de la taille du groupe.


Accord transnational

Renouvellement d’un accord-cadre mondial : la direction du groupe énergétique italien Eni (31000 salariés dans 67 pays) et la fédération syndicale internationale IndustriAll Global Union ont renouvelé, le 21 juin, leur accord-cadre mondial (v. communiqué). Les améliorations portent sur le devoir de vigilance raisonnable en matière de droits de l’homme, l’interdiction de toute forme de violence ou de harcèlement, l’amélioration des conditions de travail dans les chaînes d’approvisionnement ; le développement durable et la protection de l’environnement ; l’introduction du principe d’une « transition juste » ou encore l’attribution d’un congé de dix jours ouvrables avec 100 % du salaire à tous les pères et mères qui travaillent dans l’entreprise lors de la naissance d’un enfant. Enfin, pour la première fois, une liste d’indicateurs a été ajoutée à l’annexe de l’accord pour veiller à son application, ainsi qu’un mécanisme de règlement des différends pour résoudre les conflits éventuels.


Accord d’entreprise

Accompagnement de l’industrie 4.0 : le groupe italien Luxottica, qui est entré dans un processus de fusion avec le français Essilor, a signé, le 21 juin, un important accord d’entreprise couvrant les 11430 salariés italiens, avec les syndicats représentatifs (Femca Cisl, Filctem Cgil, Uiltec Uil) et la représentation syndicale unitaire (RSU) du groupe. Cet accord, qui prévoit que les 1150 intérimaires obtiendront des contrats à durée indéterminée à compter de juillet 2019, accompagne également l'entrée massive dans l’entreprise de nouvelles technologies 4.0 qui obligent à repenser l’organisation du travail. Le texte prévoit en particulier : 1° l'adoption de systèmes de participation stratégiques et organisationnels avec la mise en place de commissions paritaires spécifiques, dans chaque établissement, qui aborderont des sujets tels que la santé et sécurité, la formation, la classification professionnelle ou encore la restauration. 2° L'adoption de groupes de participation organisationnels composés des équipes en charge de l’amélioration continue (Kaizen) qui doivent suggérer des améliorations, lancer des expérimentations et signaler leurs travaux à la RSU. 3° Des dispositions sur la formation, le bien-être au travail avec la transposition de l’accord européen sur la violence et le harcèlement au travail. 4° La création d’une incitation financière pour inciter les salariés à atteindre les objectifs. 5° La création d’un comité de participation de haut niveau, composé de dirigeants et de syndicalistes, qui pourra donner des avis sur la stratégie de l'entreprise.


4. Études et rapports

Rapport sur l’avenir de l’industrie : la Commission européenne a publié, le 28 juin, un rapport sur « une vision pour l’industrie européenne à l’horizon 2030 » qui résulte de la table ronde de haut niveau mise en place en décembre 2017 et rassemblant syndicats, employeurs et experts en vue de préparer une stratégie industrielle européenne. Le rapport a été salué par la Confédération européenne des syndicats (v. communiqué) et IndustriAll Europe (v. communiqué).



  • Rapport sur l’intelligence artificielle : après un premier rapport sur des « recommandations éthiques pour une IA digne de confiance » (v. interview de Thiébaut Weber, IR Notes 117), le groupe d’experts de Haut niveau sur l’intelligence artificielle a rendu un deuxième rapport, le 26 juin, contenant cette fois des «Recommandations en matière de politiques et d'investissements pour une intelligence artificielle digne de confiance ». Le document, de grande qualité, précise notamment, que les travailleurs (salariés, mais aussi indépendants) « devraient participer aux discussions sur l'élaboration, le déploiement ou l'acquisition de systèmes algorithmiques d'organisation et de distribution du travail, afin d'assurer la conformité à la législation sur la santé et la sécurité, la politique sur les données, la législation sur le temps de travail et la législation sur la conciliation vie privée-vie professionnelle. Le dialogue social joue un rôle clé à cet égard. »